Bonjour à toutes et tous,
Aujourd'hui je vais vous faire quitter le Nord-Pas-de-Calais et remonter le temps par la même occasion.
Mon père est né pendant la seconde guerre mondiale dans le sud-ouest de la France où mes grands-parents André Spriet et Gabrielle Florin étaient partis s'installer pour vivre des jours un peu moins sombres. C'est donc au 5 rue Alain Gerbault à Toulouse que la vie de Dominique commence le 12 décembre 1940.
Mon grand-père, André, a facilement retrouvé du travail dans cette ville où l'industrie ne manque pas même en ces temps troublés. La vie s'écoule aussi paisiblement que possible pour le couple et leur premier enfant jusqu'à ce que la maladie vienne rompre ce bel équilibre. Atteint par la tuberculose, André, sur les conseils de son entourage professionnel, va quitter Toulouse avec sa famille pour Clairvivre, une cité sanitaire située à proximité du village de Salagnac en Dordogne.
Source : Google maps |
Le projet de la cité de Clairvivre est l'oeuvre d'Albert Delsuc, ancien combattant et secrétaire général de la FNBPC (Fédération Nationale des Blessés des Poumons et Chirurgicaux) qui s'est inspiré de ce qu'il a pu observer lors d'un voyage en Angleterre. Gazé pendant la première guerre mondiale, il a cherché à créer un lieu permettant à la fois de soigner les malades de la tuberculose et de les aider à retrouver un équilibre de vie et de travail entourés de leurs familles. L'obtention d'une subvention en 1930 lui permet de démarrer son projet qu'il va choisir d'implanter en Dordogne, sa région natale.
Clairvivre : vue générale (source : https://www.clairvivre.fr) |
Clairvivre, dont les travaux commencent en 1931, sera inaugurée le 30 juillet 1933. Elle dispose de tout le confort moderne pour l'époque et est totalement autonome grâce à de nombreux équipements techniques. La cité est organisée en trois quartiers : celui de l'habitat, celui des soins, celui du travail, qui correspondent au projet de la FNBPC : vivre, guérir, travailler.
On retrouve dans les différents bâtiments et constructions cette répartition des besoins. La cité comprend entre autres un grand hôtel sanatorium, visible de loin par sa taille imposante et proposant des services d'hébergement, de restauration et de loisirs (cinéma, bibliothèque), un dispensaire hôpital dédié à l'accueil des malades tuberculeux ainsi qu'à d'autres types de soins et au suivi médical des enfants (dont la présence était la base familiale du projet d'Albert Delsuc). Un groupe scolaire sera achevé pendant la guerre et deviendra alors l'école de tous les enfants de la cité. Les pavillons d'habitation, quant à eux, possèdent le téléphone, l'eau courante, des équipements sanitaires modernes et tout le nécessaire à une vie familiale heureuse et confortable.
Le dispensaire-hôpital Source : archives familiales |
Source : Clairvivre... de l'utopie à la réalité par Jacqueline Desthomas et Jean-Jacques Joudinaud Editions de la Tuillière pour l'EPD de Clairvivre (1999) |
Au delà de cette vocation médicale et sociale, les années qui suivent vont faire entrer Clairvivre dans l'histoire en transformant la cité en lieu d'accueil pour de nombreux réfugiés, espagnols d'abord à partir de 1937, puis français fuyant l'avancée allemande pendant la seconde guerre mondiale. La cité devient lieu de résistance face à l'occupant. Il en sera question un peu plus loin.
Mais revenons à la "petite histoire" familiale. Lorsque mes grands-parents s'installent à Clairvivre, mon père est encore bien jeune. D'après les photos familiales et ses souvenirs, il y serait arrivé vers septembre 1942, soit à environ l'âge de vingt mois.
Mon grand-père est accueilli comme bien d'autres malades de la tuberculose de cette époque et reçoit les soins appropriés. Mon père profite du quotidien et de l'environnement pour vivre sa vie de petit garçon en compagnie d'autres enfants.
Mon père en septembre 1942 Source : archives familiales |
La famille s'agrandit avec la naissance d'un deuxième enfant, Christiane, le 21 septembre 1943.
Si dans un premier temps, l'occupation allemande n'a que peu de répercussions sur la vie à Clairvivre, le rôle médical de la cité va peu à peu s'accompagner d'un engagement important dans la résistance : accueil de jeunes pour échapper au STO, parachutages, passage de courrier, les actions ne manquent pas. Les Allemands ont d'abord semblé ignorer ce qui s'y passait, peut-être par crainte de la contamination, peut-être aussi parce que Clairvivre, lieu à l'écart, ne figurait pas sur leurs cartes d'état-major, mais la pression va peu à peu se resserrer. A partir de 1944, les arrestations et la circulation des convois ennemis vont mettre la population en alerte.
Le 6 juin 1944 a lieu le débarquement en Normandie. Les jours qui suivent vont être marquants pour Clairvivre et ses habitants. Mon père Dominique a alors presque 3 ans et demi. Le 7 juin trois jeunes médecins sont arrêtés et exécutés sans jugement près d'Excideuil, à 16 km de la cité. Ils seront déclarés "Morts pour la France" en 1945. Le 8 juin, alors que Dominique et d'autres enfants se promènent tranquillement, un convoi allemand passe à proximité. Mon père m'a raconté s'être réfugié dans les arbres avec les autres enfants qui l'accompagnaient.
La journée du 10 juin 1944 reste gravée dans l'histoire et dans la mémoire de mon père pour le terrible massacre d'Oradour sur Glane qui fera 643 victimes. Le village n'est qu'à 92 km environ de Clairvivre.
Ce mois de juin sera éprouvant pour les habitants de la cité :
Source : Clairvivre... de l'utopie à la réalité par Jacqueline Desthomas Editions de la Tuillière pour l'EPD de Clairvivre (1999)et Jean-Jacques Joudinaud |
L'école - Source : archives familiales |
La traditionnelle photo de classe de cette année 1944-45 permettra à vingt et un enfants de garder un souvenir de leur année scolaire et d'esquisser, au moins pour certains, un sourire devant le photographe.
7 mai 1945 - source : archives familiales |
En 1945, la fin de la guerre permet à mes grands-parents, mon père et sa petite soeur, de regagner le Nord où ils vont retrouver leurs attaches familiales et reprendre le cours de leur vie. Mon père n'a cependant jamais oublié cette période de son existence. Au cours de l'été 2008, il est retourné, à l'occasion de vacances en Dordogne, revoir ce lieu si particulier.
Qu'est devenu Clairvivre après la guerre ? Albert Delsuc, qui avait dû abandonner les lieux en 1940, est revenu en 1946 pour constater le délabrement du projet dans lequel il s'était tellement investi. Avec très peu d'aide de l'Etat, il a cependant réussi à effectuer les travaux nécessaires afin de lui redonner la capacité d'accueillir à nouveau des malades et leurs familles, ce qui fut fait au début de la décennie 1950.
Les années passant, l'idée d'associer soins médicaux et formation professionnelle s'est poursuivie et renforcée. Albert Delsuc décèdera le 26 février 1962, laissant derrière lui un lieu qui aujourd'hui a toujours cette vocation d'accueil, désormais à destination des personnes en situation de handicap avec le statut actuel d'Etablissement Public Départemental.